Mise à jour du 22/08/2024
Abbaye Saint-Michel de Frigolet
La Communauté religieuse de Saint-Michel de Frigolet appartient à l'Ordre des Chanoines Réguliers de Prémontré.
Les "Prémontrés" suivent la Règle de Vie de saint Augustin.
Évêque en Afrique du Nord il vivait au V° siècle en communauté avec son clergé.
Cette forme de vie fut réanimée en 1120 à Prémontré par saint Norbert.
Les fils de saint Norbert mènent une vie monastique rythmée par la prière liturgique.
Dans le même temps, vivant en communauté fraternelle, ils se mettent au service de la pastorale et de l'évangélisation autour de l'abbaye.
C'est ce que l'on appelle la vie canoniale.
A Frigolet, au coeur de la Montagnette, les frères se consacrent plus particulièrement à l'accueil des visiteurs, des hôtes de passage, des jeunes et des retraitants, de tous ceux qui recherchent le silence, le repos, la prière ou l'étude.
Aux alentours, ils assurent aussi le service des paroisses de la Montagnette ainsi qu'une présence en aumônerie scolaire et auprès des malades.
Une Communauté religieuse de la Congrégation des Soeurs de Saint-Charles de Nancy partage sur la Montagnette le quotidien actif et contemplatif des Prémontrés.
C'est là sur le vaste et paisible plat du "parking des pins" face à l'entrée de l'Abbaye de Frigolet, qu'Arlésiens et gens d'alentours viennent passer le dimanche en famille. Dans cette prairie d'herbes hautes, les enfants folâtrent sans danger, chassant avec de grands éclats de rire les dizaines de papillons des collines. Un petit havre de paix simple et tranquille exactement placé sous le soleil de la secrète Montagnette. Le dessin même de la route sillonnant les vallons arborés de chênes kermès et de romarin est apaisant pour le regard. Comme une apparition soudaine, les deux flèches de la Basilique coupent le paysage: Frigolet impose sa beauté consacrée.
L'Abbaye de Saint-Michel de Frigolet est un centre religieux depuis le Moyen-âge. Une communauté de Prémontrés y est installée. En dehors des lieux de prière et de recueillement, l'abbaye est ouverte au public et des visites guidées sont même organisées. Il est vrai que la balade à l'intérieur du site est superbe, parfois surprenante tant les bâtiments font corps avec la nature omniprésente.
Une nature que l'on retrouve encore dans l'origine du nom "Frigolet" du provençal "Férigoulo", le thym qui embaume chaque sentier. C'est en partie à Daudet que l'on doit la célébrité des lieux. En effet, dans les "Lettres de mon moulin", ne parle-t-il pas d'un fameux Élixir "agréable et à la fois bienfaisant et salutaire" dont il attribue la recette au Père Gaucher. Une recette que les Prémontrés perpétuent et qu'ils vous proposent dans leur magasin de souvenir. Petit coup d'oeil amusant avant de quitter l'Abbaye sur la crèche originale placée à l'entrée: parmi les figurines de terre, cherchez donc les grandes figures daudesques à commencer par Tartarin et son lion d'Afrique.
La visite de l'Abbaye est gratuite et les Églises toujours ouvertes au public , on peut faire un pique-nique dans la très grande propriété.
C'est là sur le vaste et paisible plat du "parking des pins" face à l'entrée de l'Abbaye de Frigolet, qu'Arlésiens et gens d'alentours viennent passer le dimanche en famille. Dans cette prairie d'herbes hautes, les enfants folâtrent sans danger, chassant avec de grands éclats de rire les dizaines de papillons des collines. Un petit havre de paix simple et tranquille exactement placé sous le soleil de la secrète Montagnette. Le dessin même de la route sillonnant les vallons arborés de chênes kermès et de romarin est apaisant pour le regard. Comme une apparition soudaine, les deux flèches de la Basilique coupent le paysage: Frigolet impose sa beauté consacrée.
L'Abbaye de Saint-Michel de Frigolet est un centre religieux depuis le Moyen-âge. Une communauté de Prémontrés y est installée. En dehors des lieux de prière et de recueillement, l'abbaye est ouverte au public et des visites guidées sont même organisées. Il est vrai que la balade à l'intérieur du site est superbe, parfois surprenante tant les bâtiments font corps avec la nature omniprésente.
Une nature que l'on retrouve encore dans l'origine du nom "Frigolet" du provençal "Férigoulo", le thym qui embaume chaque sentier. C'est en partie à Daudet que l'on doit la célébrité des lieux. En effet, dans les "Lettres de mon moulin", ne parle-t-il pas d'un fameux Élixir "agréable et à la fois bienfaisant et salutaire" dont il attribue la recette au Père Gaucher. Une recette que les Prémontrés perpétuent et qu'ils vous proposent dans leur magasin de souvenir. Petit coup d'oeil amusant avant de quitter l'Abbaye sur la crèche originale placée à l'entrée: parmi les figurines de terre, cherchez donc les grandes figures daudesques à commencer par Tartarin et son lion d'Afrique.
La visite de l'Abbaye est gratuite et les Églises toujours ouvertes au public , on peut faire un pique-nique dans la très grande propriété.
Au XII° siècle : Les origines de la vie religieuse à Frigolet se perdent dans la nuit des temps.
La tradition orale rapporte bien la mention d'une charte de fondation du roi d'Arles, Conrad le Pacifique en 962... que nul n'a jamais vu.
En 1133, une Communauté déjà bien constituée de 13 chanoines est mentionnée pour la première fois, dans un acte de donation.
Son prieur est connu : Guillaume de Loubières.
Cette Communauté, probablement de chanoines réguliers de Saint-Augustin, comme nous habillée de blanc, nous a légué le coeur actuel du monastère : le cloître et l'église Saint-Michel. Sa fonction, outre la recherche de Dieu dans un lieu désert, était probablement de desservir le sanctuaire de la Vierge qui était alors ici vénérée sous le titre de Notre-Dame de Frigolet.
La chapelle actuelle de Notre-Dame du Bon Remède (le nom apparut au XVIIe) date aussi de cette époque.
En 1176, l'évêque d'Avignon Geoffroy concède au monastère ("domus Dei") de Frigolet nouvellement construit et à son Prieur Pierre de Alvernicus, un privilège. Le noyau du monastère date encore de cette période : le cloître et l'église Saint-Michel ainsi que à côté du monastère, la petite chapelle de Notre-Dame du Bon Remède (appelée alors Notre-Dame de Frigolet "Nostra Domina de Ferigoleto").
Du XIV° au XV° siècle : Cette première tranche d'histoire s'achèvera au XIVe siècle. Le 14 décembre 1316, la bulle "Sedes Apostolica Mater" du Pape d'Avignon, Jean XXII, unit le chapitre de Frigolet à celui de la cathédrale d'Avignon avec obligation de résidence pour une partie d'entre eux. Douze chanoines résideraient au monastère. Une partie d'entre eux sera rattachée à l'église Sainte-Marthe de Tarascon, propriété de la cathédrale d'Avignon. Le Prieur de Frigolet sera le doyen de Sainte-Marthe. On parla à cette occasion des "cinq religieux blancs du monastère de Frigolet" qui durent gagner Tarascon. Lorsqu'en 1482, le roi de France Louis XI fonde à la place du prieuré, la collégiale de Sainte-Marthe, le Prieur de Frigolet reçoit le titre de Doyen de Sainte-Marthe. La sécularisation est définitive le 24 mai 1480, ratifiée par le Pape Sixte IV. Le monastère sera abandonné jusqu'en 1635.
Du XVII° au XVIII° siècle : Si le sanctuaire de Notre-Dame du Bon Remède est encore un lieu de pèlerinage, le monastère de Saint-Michel est abandonné. En 1647, Les Hieronymites (où Pères de Saint-Jérôme) font revivre le monastère. La vie religieuse reprend à Frigolet, pour ne plus s'arrêter, jusqu'à la Révolution Française, en 1793. Ces religieux remettent debout les bâtiments délabrés de Frigolet. Ils les agrandissent et les embellissent.
Cette Communauté nous a légué :
LA TRISTE COMMISSION DES REGULIERS 1768 : Un édit de Louis XV avait entrepris de supprimer les petites communautés pour les réunir à de plus importantes. La petite communauté de Frigolet tombait sous le coup de la loi. Devant les réactions que provoque cette initiative dans la région, l'archevêque d'Avignon, le comte de Manzi prend, le 1er janvier 1773, une ordonnance maintenant les Augustins Réformés dans leur monastère, "pour entretenir la dévotion des fidèles aux dites églises de Notre-Dame et de Saint-Michel, qui forment un sanctuaire vénérable, le seul qu'il y ait dans cette partie de notre diocèse en Provence". Ce maintien se justifie d'autant plus qu'à la suite de l'expulsion des Jésuites, en 1762, un pensionnat avait été créé à Frigolet pour l'éducation des jeunes gens de la région.
L'EXPULSION DE LA COMMUNAUTÉ LORS DE LA RÉVOLUTION FRANCAISE 1789/1791 : Le prieuré de Saint-Michel avec toutes ses annexes et dépendances est mis en vente en plusieurs lots. Les religieux se retirent à Barbentane . L'un d'eux, repéré, fut assommé par quelques forcenés et enterré vivant. Une "citoyenne", voyant qu'il respirait encore l'acheva à coups de pierre. Plus tard, elle se rendra compte de l'énormité de son crime. Pour en implorer le pardon à Dieu, elle se rendra pendant un an et un jour, au coup de minuit et pieds nus, en pèlerinage, à la porte de la chapelle de Notre-Dame du Bon Remède, et là, elle fera à haute voix, et en sanglotant, amende honorable de sa conduite.
LE SAUVETAGE DE LA CHAPELLE DE N.D. DU BON REMÈDE SOUS LA TERREUR 1793 : Divers stratagèmes éviteront le pillage et le vandalisme que connurent tant d'autres lieux. Voici le récit d'un descendant de la courageuse femme qui sauva le sanctuaire de Notre-Dame du Bon Remède."Notre arrière grand'mère Chaîne habitait le mas de l'Allemand, près de Frigolet, avec un prêtre et notre arrière-grand-père. Prévenue par une personne dévouée de Tarascon que les sans-culottes se proposaient de venir piller la chapelle du Bon-Remède, elle se hâta de faire disparaître les boiseries, statues, tableaux de la chapelle sous un amoncellement de fagots d'oliviers et d'amandiers, qui montaient jusqu'à la voûte. Elle ménagea un petit espace, à l'entrée, y mit de la paille et y enfonça son âne et une chèvre. Elle brisa ensuite quelques statuettes en plâtre et en sema les débris au-devant de la porte. Elle fit cacher dans une cave son mari et le prêtre, et, pleine de courage. et de sang-froid, elle fut au-devant des sans-culottes et leur demanda ce qu'ils venaient faire. S'ils venaient pour la chapelle, elle leur annonçait que d'autres sans-culottes les avaient précédés, qu'il n'y avait plus rien, ni personne, et qu'elle en avait fait son bûcher et son écurie, que, du reste, ils pourraient en juger bientôt par eux-mêmes, mais, qu'en attendant il fallait se rafraîchir et manger un morceau, pour se reposer de leur course. Elle leur servit un copieux dîner, leur donna à boire avec abondance, parla leur langage (i.e. le français), fit même la farandole avec eux, si bien qu'à la fin du repas on parlait vaguement de la visite de la chapelle. Cependant, pour les convaincre de ses dires, elle en conduisit quelques-uns au sanctuaire, tandis que les autres continuaient à boire. Arrivés à la chapelle, la grand'mère ouvrit la porte, et ils constatèrent qu'en effet elle était pleine de bois et servait d'écurie. Devant les débris de statuettes et en face de cette transformation du sanctuaire, ils complimentèrent notre arrière-grand'mère et la traitèrent de "bonne citoyenne". (texte dû à M. E. Balby).
Au XIXe siècle : La Révolution française et ses suites immédiates : La tourmente révolutionnaire qui sacrifie les Ordres religieux et confisque leurs biens pour les vendre n'épargne pas Saint-Michel de Frigolet. Le 15 janvier 1791, les membres de la petite communauté fuient, l'un d'eux est exécuté. Le monastère "une petite église et le reste du couvent incendié sans bail" est soumissionné par la Commune de Tarascon pour la modique somme de 300 livres. L'isolement épargne le petit sanctuaire de Notre-Dame. La tradition orale rappelle qu'une habitante d'un mas voisin, Mme Chaîne, a sauvé la chapelle de Notre-Dame du pillage et du vandalisme. Après la Terreur, Saint-Michel passe en plusieurs mains. Des chevaliers d'industrie, se disant émigrés politiques d'Espagne et désabusés du monde, s'y installent en 1837, pour y "suivre, loin du tumulte des hommes, la règle de Saint-Bernard". Mais le manque de ressources, et surtout les injonctions de la police, les obligent à se séparer rapidement. Un pensionnat est ouvert ensuite par Mr Donnat en septembre 1839. Parmi la quarantaine d'élèves se trouve le jeune Frédéric Mistral, de Maillane. Encore une fois, l'indigence va être la cause de la fermeture de la maison d'éducation.
Les événements et les liturgies solennelles attirent de plus en plus de monde. En 1861, une maîtrise est créée qui rehausse l'éclat des offices liturgiques. En 1860, l'archevêque d'Aix consacre le nouvel autel de la petite église romane, dédiée à saint Michel archange. L'édifice roman, quoique déjà agrandi par les Prémontrés d'une travée, se révèle très vite trop petit pour accueillir les foules, et trop simple pour la majesté du culte. Le Père Edmond entreprend donc la construction de la vaste église dont il rêvait. En trois ans, l'immense abbatiale est construite selon le goût de l'époque. Le 6 octobre 1866, l'archevêque d'Aix, entouré de milliers de fidèles, pouvait déjà consacrer cette nouvelle église. Elle fut dédiée à l'Immaculée-Conception. C'était l'époque de la proclamation du dogme et des apparitions de Lourdes. Cet édifice enveloppe la chapelle romane de Notre-Dame du Bon-Remède. Le 6 juin, 1869, Pie IX élève le prieuré de Frigolet au rang d'abbaye. Le Père Edmond en sera le premier abbé.
L'extraordinaire rayonnement de la Communauté de Saint-Michel de Frigolet donna naissance à plusieurs missions et fondations, bien au-delà des frontières françaises. En 1868 Mgr Lavigerie, le futur cardinal, avait fait venir à Alger une petite communauté de Frigolet. Elle démarrera l'histoire de Notre-Dame d'Afrique. Après bien des événements, Mgr Lavigerie les remplacera par la nouvelle congrégation missionnaire qu'il venait de fonder. Les fidèles de Notre-Dame d'Afrique nommeront les nouveaux missionnaires du nom donné par la population, tant provençale qu'algéroise, aux Prémontrés de Frigolet : "les Pères blancs".
L'évêque de Rodez, le cardinal Bourret, fait appel à Frigolet pour relever l'antique abbaye de Conques dans l'Aveyron. Six Prémontrés y sont installés. Ils restaurent et agrandissent les bâtiments de l'ancien monastère. L'évêque leur confie la paroisse et la garde du trésor historique de Sainte Foy "à perpétuité". Pendant les travaux de restauration du choeur de l'abbatiale romane, les Pères font la découverte des reliques de la sainte martyre. Elles avaient été emmurées au cours des guerres de Religion.
Le Père Edmond Boulbon aida Mère Marie de la Croix à installer une communauté de soeurs prémontrées à Bonlieu (Drôme ). Plusieurs autres essais ou demandes de fondations, parmi lesquels celle du roi d'Espagne qui voulait confier aux Pères l'Escorial, témoignent du prestige de Frigolet. Hélas ! Déjà l'année 1880 verra le début de quelques coups durs dont l'abbaye se relèvera difficilement.
En 1880 le gouvernement français décrète la dissolution de la communauté et lui ordonne de quitter le monastère. Le refus des Prémontrés, soutenus par les fidèles du secteur, provoquera le fameux "siège de Frigolet".
En 1882 le Père Edmond Boulbon démissionne. Il rendra l'âme à Dieu le 7 mars 1883 dans une abbaye vidée par les événements politiques. " Hier, écrit P. Xavier de Fourvières dans son journal, nous avons enterré le pauvre P. Edmond ; je suis revenu de Frigolet le coeur navré. Il n'y avait presque personne à l'enterrement..."
Après avoir été chassés de leur abbaye les religieux de Frigolet se sont dispersés pour quelques années. Un groupe se vit même offrir une maison à Storrington (West Sussex - Angleterre) par le Duc de Norfolk. Le 29 juillet 1882 ils obtiennent déjà l'autorisation de recevoir des novices. Une nouvelle fondation est née. Storrington est aujourd'hui un prieuré autonome de l'Ordre de Prémontré. Une pierre dans la façade du bâtiment rappelle que le successeur du Père Edmond, l'Abbé Paulin Boniface, posaposa "cette première pierre" du monastère. "Mes enfants, il n'y a plus rien pour vous faire manger : il faut retourner chez vous. Et soudain, comme un troupeau de cabris en sevrage qu'on élargit du bercail, nous allâmes, en courant, avant de nous séparer, arracher des touffes de thym sur la colline pour emporter un souvenir de notre beau quartier de Thym-Frigolet, en provençal Ferigoulet, signifie "lieu où le thym abonde". Puis, avec nos petits paquets, quatre à quatre, six à six, qui en amont, qui en aval, nous nous éparpillâmes dans les vallons et les sentiers, mais non sans retourner la tête, ni sans regret à la descente." Frédéric Mistral, Mémoires et Récits (Ed. Plon-Nourrit 1906, page 203).
Des industriels s'installèrent ensuite dans les bâtiments. On y vit une production de dragées, une fromagerie ou un atelier d'équarrissage. L'église Saint-Michel devint un abri pour les troupeaux.
La Primitive Observance de Prémontré & Père Edmond Boulbon (1817-1883) : Jean-Baptiste Boulbon naquit à Bordeaux le 14 janvier 1817. Il entra comme novice, sous le nom de frère Edmond, à l'Abbaye Cistercienne (Trappe) de Notre-Dame du Gard, près d'Amiens qui, en 1845, fut transféré, à Sept Fons (Allier). Son abbé et celui de la Trappe de Bricquebec l'envoyèrent prêcher en France et en Belgique pour récolter des fonds afin de construire leur abbaye. Il fut envoyé aussi sur l'île de la Réunion afin d'y prospecter en vue d'une fondation éventuelle. Durant ses voyages, il avait été choqué par le peu de dignité avec laquelle on célébrait souvent les offices. Il rêvait d'un culte avec un faste digne de la majesté de Dieu, qui élèverait en même temps le coeur des fidèles. Les supérieurs du Père Boulbon comprirent vite que cette vision ne relevait pas du charisme des moines cisterciens. Cependant, l'abbé de Bricquebec prit au sérieux le désir du Père Edmond et lui suggéra de restaurer l'Ordre de Prémontré, qui avait été anéanti en France lors de la Révolution. En effet, cet Ordre Canonial (c'est-à-dire de Chanoines Réguliers) unit la vie contemplative à une vie liturgique publique et à un engagement pastoral dans l'Église. Lors d'une audience à Rome le 4 décembre 1856, le pape Pie IX autorisa sur-le-champ Père Edmond à entreprendre cette oeuvre. Il reçut en même temps l'autorisation d'ouvrir un noviciat, de donner l'habit et d'admettre à la profession religieuse. Après un essai infructueux dans ce qui restait des bâtiments de l'ancienne abbaye de Prémontré (Aisne), Père Boulbon prend conseil auprès du saint curé d'Ars. L'abbé Jean-Marie Vianney lui répond d'établir sa fondation en Provence. L'ancien prieuré de Saint-Michel de Frigolet fut alors acheté pour 18 000 francs. L'installation officielle de la nouvelle fondation a lieu le 27 avril 1858. Le 11 juillet suivant, le Père Edmond fait profession religieuse entre les mains de l'archevêque d'Aix et d'Arles, Mgr Chalandon. Entre-temps, la communauté qui entoure son fondateur s'accroît sans cesse.
Le siège de Frigolet : Dès la Toussaint 1880, les Provençaux étaient montés par milliers au monastère pour tenter d'éviter l'expulsion. Beaucoup d'entre eux s'enfermèrent à l'intérieur de l'abbaye, parmi lesquels Frédéric Mistral. A cette nouvelle, la Préfecture de Marseille et le Gouvernement mirent en mouvement une véritable armée contre Frigolet : gendarmerie, infanterie, cavalerie, flanquées de généraux, de préfet, de sous-préfet, de commissaire de police... En tout, près de deux mille hommes pour chasser de leur couvent une quarantaine de religieux. L'expulsion est officiellement annoncée le 5 novembre, tandis que les troupes se déploient depuis deux jours sur la Montagnette. Ce 5, un commissaire embarrassé notifie, à travers une porte, au Père Hermann, qui représente le Père Abbé, l'arrêté d'expulsion dont il est porteur. Le Père refuse d'obtempérer. La Montagnette est alors investie par les escadrons de cavalerie et les bataillons d'infanterie, qui se déploient sur les collines en position d'attaque, sous les immenses éclats de rire de milliers de Provençaux qui chantent avec force leur fameux "Prouvençau e Catouli". A six heures du soir, il est fait défense de traverser les lignes, d'apporter de la nourriture aux assiégés, de sortir de l'abbaye : le blocus est total. Le 6 novembre, un capitaine du 141e régiment d'infanterie, accompagné d'un gendarme, monte demander à nouveau l'ouverture des portes de l'abbaye, on lui renouvelle le refus. La troupe cerne alors la boulangerie (aujourd'hui la Treille) et l'occupe aussitôt. Dans l'après-midi du dimanche 7 novembre, un ballon vert est lancé par les assiégés et s'élève lentement dans le ciel, avant d'être abattu par les militaires. Mais chacun sur la Montagnette avait eu le temps de voir le signe de vie que leur adressaient les assiégés. Sur décision du préfet, des crocheteurs montent à Frigolet, à la naissance du jour du 8 novembre, accompagnés du commissaire de police et de douze gendarmes. Ils poussaient une charrette remplie d'instruments d'escalade, de cordages, de chaînes, de haches, de massues, de poutres et de poutrelles en forme de bélier, comme si on devait prendre d'assaut une véritable forteresse ! Le commissaire fait de nouvelles sommations devant la grille de fer pour y attirer les assiégés, tandis qu'il envoie ses crocheteurs forcer une porte opposée, celle dite du "cloître". Une véritable ruse de guerre... Entendant les coups de hache défoncer les portes, les Prémontrés se réunissent alors dans la salle du Chapitre où, après avoir violé l'entrée de l'abbaye, se présente le commissaire de police, ceint de son écharpe, chapeau sur la tête, brandissant son décret d'expulsion. Le Père Abbé, dans cet instant poignant, lit une protestation solennelle. Devant les forces de police, ébahies et décontenancées, les Pères chantent alors l'office que personne n'ose troubler, jusqu'à ce que le Père Abbé leur donne sa dernière bénédiction. Les scellés sont apposés sur l'église, tandis qu'éclate un violent orage et que tombe une pluie torrentielle. Agents et gendarmes font évacuer l'abbaye de tous ceux qui s'y trouvaient depuis plusieurs jours pour soutenir les Pères dans ce moment difficile. Et, à 8 h 30, toujours sous le déluge qui tombe du ciel, les Prémontrés sont poussés dans les voitures amenées spécialement par la préfecture, puis conduits vers Tarascon, escortés de onze brigades de gendarmerie et d'un escadron de dragons, mais surtout acclamés par les foules massées tout le long du parcours et jetant des fleurs. Pendant de long mois, l'abbaye de Frigolet fut gardée militairement. (Extraits de documents de l'époque).
Au XXe siècle : L'UNION AU GRAND ORDRE DE PREMONTRE : Le Pape Pie IX avait été très ouvert face aux expériences religieuses. C'est lui qui avait autorisé et encouragé le P. Boulbon dans son oeuvre. Son successeur, le Pape Léon XIII préfère la clarté dans le foisonnement des familles religieuses surgies depuis la Révolution française. Il favorisera, voire exigera la réunification des différentes branches des ordres religieux anciens. Or le Père Boulbon avait créé sa fondation autonome vis-à-vis de l'Ordre de Prémontré dit de "la Commune Observance". Les Prémontrés de Frigolet vivaient selon les statuts du Moyen Age. Ils s'appelaient la "Congrégation de la Primitive observance de Prémontré" et étaient attachés à leur statut, mais Rome insista. Après consultation de la Communauté de Frigolet et du chapitre général du grand Ordre, Léon XIII signa le décret de l'union le 17 septembre 1898. Pour la Communauté relativement jeune, ce fut un choc auquel vint s'ajouter le décès prématuré du Père Abbé Denis Bonnefoy. Les religieux de Frigolet firent appel au prieur de l'abbaye prémontrée de Mondaye (Calvados), Godefroid Madelaine, pour devenir leur Père Abbé.
Le nouveau pasteur envoya en 1901 quelques religieux comme missionnaires à Madagascar. Cette mission continuera jusqu'en 1934. Par ce geste religieux, mais aussi humanitaire, le Père Abbé a essayé de sauver sa communauté d'un ouragan qui s'annonçait à l'horizon. En vain. La loi du 1er juillet 1903 sur les congrégations religieuses entraîna en effet la dissolution immédiate de 54 maisons et congrégations religieuses, l'expulsion des religieux de leurs monastères et l'expropriation des biens mobiliers et immobiliers. Ceux qui voulaient continuer la vie religieuse furent exilés.
En France les bâtiments de Frigolet ont servi, pendant la Grande Guerre, de camp pour des prisonniers allemands. Fin 1910, les premiers Prémontrés, prudemment vêtus d'une soutane noire, osent revenir, guidés par le nouveau Père Abbé Adrien Borelly. Le dénuement était total, car les soldats avaient laissé les lieux dans un état lamentable. Même à cette époque, la police de Tarascon les obligea à quitter à nouveau l'abbaye pour quelque temps.
Depuis le retour de l'exil l'abbaye Saint-Michel de Frigolet continue sa vie et sa mission religieuse.
Relevons durant cette période la figure du Père Norbert Calmels. Devenu Père Abbé de Frigolet en 1946 il fut élu Abbé Général de l'Ordre (1961-1981). Entre-temps Paul VI l'avait nommé évêque en 1978 et chargé d'une mission diplomatique auprès du roi du Maroc. Mgr Norbert Calmels a rendu l'âme le 24 mars 1985 après une maladie foudroyante. Sa personnalité aimable, ses fonctions religieuses et le fait d'être un homme de lettres l'avaient entouré d'innombrables amis à tous les niveaux de la société.
Entre-temps, le Concile Vatican II et les Chapitres généraux de l'Ordre invitaient à un retour aux sources essentielles de la vie religieuse.
En 1176, l'évêque d'Avignon Geoffroy concède au monastère ("domus Dei") de Frigolet nouvellement construit et à son Prieur Pierre de Alvernicus, un privilège. Le noyau du monastère date encore de cette période : le cloître et l'église Saint-Michel ainsi que à côté du monastère, la petite chapelle de Notre-Dame du Bon Remède (appelée alors Notre-Dame de Frigolet "Nostra Domina de Ferigoleto").
Du XIV° au XV° siècle : Cette première tranche d'histoire s'achèvera au XIVe siècle. Le 14 décembre 1316, la bulle "Sedes Apostolica Mater" du Pape d'Avignon, Jean XXII, unit le chapitre de Frigolet à celui de la cathédrale d'Avignon avec obligation de résidence pour une partie d'entre eux. Douze chanoines résideraient au monastère. Une partie d'entre eux sera rattachée à l'église Sainte-Marthe de Tarascon, propriété de la cathédrale d'Avignon. Le Prieur de Frigolet sera le doyen de Sainte-Marthe. On parla à cette occasion des "cinq religieux blancs du monastère de Frigolet" qui durent gagner Tarascon. Lorsqu'en 1482, le roi de France Louis XI fonde à la place du prieuré, la collégiale de Sainte-Marthe, le Prieur de Frigolet reçoit le titre de Doyen de Sainte-Marthe. La sécularisation est définitive le 24 mai 1480, ratifiée par le Pape Sixte IV. Le monastère sera abandonné jusqu'en 1635.
Du XVII° au XVIII° siècle : Si le sanctuaire de Notre-Dame du Bon Remède est encore un lieu de pèlerinage, le monastère de Saint-Michel est abandonné. En 1647, Les Hieronymites (où Pères de Saint-Jérôme) font revivre le monastère. La vie religieuse reprend à Frigolet, pour ne plus s'arrêter, jusqu'à la Révolution Française, en 1793. Ces religieux remettent debout les bâtiments délabrés de Frigolet. Ils les agrandissent et les embellissent.
Cette Communauté nous a légué :
- Le choeur de l'église Saint-Michel qui a été agrandi
- La Salle du Chapitre et les salles attenantes avec une magnifique voûte de pierre
- La Sacristie de l'Eglise Saint-Michel grande de "deux cannes en carré" (acte de 1652)
LA TRISTE COMMISSION DES REGULIERS 1768 : Un édit de Louis XV avait entrepris de supprimer les petites communautés pour les réunir à de plus importantes. La petite communauté de Frigolet tombait sous le coup de la loi. Devant les réactions que provoque cette initiative dans la région, l'archevêque d'Avignon, le comte de Manzi prend, le 1er janvier 1773, une ordonnance maintenant les Augustins Réformés dans leur monastère, "pour entretenir la dévotion des fidèles aux dites églises de Notre-Dame et de Saint-Michel, qui forment un sanctuaire vénérable, le seul qu'il y ait dans cette partie de notre diocèse en Provence". Ce maintien se justifie d'autant plus qu'à la suite de l'expulsion des Jésuites, en 1762, un pensionnat avait été créé à Frigolet pour l'éducation des jeunes gens de la région.
L'EXPULSION DE LA COMMUNAUTÉ LORS DE LA RÉVOLUTION FRANCAISE 1789/1791 : Le prieuré de Saint-Michel avec toutes ses annexes et dépendances est mis en vente en plusieurs lots. Les religieux se retirent à Barbentane . L'un d'eux, repéré, fut assommé par quelques forcenés et enterré vivant. Une "citoyenne", voyant qu'il respirait encore l'acheva à coups de pierre. Plus tard, elle se rendra compte de l'énormité de son crime. Pour en implorer le pardon à Dieu, elle se rendra pendant un an et un jour, au coup de minuit et pieds nus, en pèlerinage, à la porte de la chapelle de Notre-Dame du Bon Remède, et là, elle fera à haute voix, et en sanglotant, amende honorable de sa conduite.
LE SAUVETAGE DE LA CHAPELLE DE N.D. DU BON REMÈDE SOUS LA TERREUR 1793 : Divers stratagèmes éviteront le pillage et le vandalisme que connurent tant d'autres lieux. Voici le récit d'un descendant de la courageuse femme qui sauva le sanctuaire de Notre-Dame du Bon Remède."Notre arrière grand'mère Chaîne habitait le mas de l'Allemand, près de Frigolet, avec un prêtre et notre arrière-grand-père. Prévenue par une personne dévouée de Tarascon que les sans-culottes se proposaient de venir piller la chapelle du Bon-Remède, elle se hâta de faire disparaître les boiseries, statues, tableaux de la chapelle sous un amoncellement de fagots d'oliviers et d'amandiers, qui montaient jusqu'à la voûte. Elle ménagea un petit espace, à l'entrée, y mit de la paille et y enfonça son âne et une chèvre. Elle brisa ensuite quelques statuettes en plâtre et en sema les débris au-devant de la porte. Elle fit cacher dans une cave son mari et le prêtre, et, pleine de courage. et de sang-froid, elle fut au-devant des sans-culottes et leur demanda ce qu'ils venaient faire. S'ils venaient pour la chapelle, elle leur annonçait que d'autres sans-culottes les avaient précédés, qu'il n'y avait plus rien, ni personne, et qu'elle en avait fait son bûcher et son écurie, que, du reste, ils pourraient en juger bientôt par eux-mêmes, mais, qu'en attendant il fallait se rafraîchir et manger un morceau, pour se reposer de leur course. Elle leur servit un copieux dîner, leur donna à boire avec abondance, parla leur langage (i.e. le français), fit même la farandole avec eux, si bien qu'à la fin du repas on parlait vaguement de la visite de la chapelle. Cependant, pour les convaincre de ses dires, elle en conduisit quelques-uns au sanctuaire, tandis que les autres continuaient à boire. Arrivés à la chapelle, la grand'mère ouvrit la porte, et ils constatèrent qu'en effet elle était pleine de bois et servait d'écurie. Devant les débris de statuettes et en face de cette transformation du sanctuaire, ils complimentèrent notre arrière-grand'mère et la traitèrent de "bonne citoyenne". (texte dû à M. E. Balby).
Au XIXe siècle : La Révolution française et ses suites immédiates : La tourmente révolutionnaire qui sacrifie les Ordres religieux et confisque leurs biens pour les vendre n'épargne pas Saint-Michel de Frigolet. Le 15 janvier 1791, les membres de la petite communauté fuient, l'un d'eux est exécuté. Le monastère "une petite église et le reste du couvent incendié sans bail" est soumissionné par la Commune de Tarascon pour la modique somme de 300 livres. L'isolement épargne le petit sanctuaire de Notre-Dame. La tradition orale rappelle qu'une habitante d'un mas voisin, Mme Chaîne, a sauvé la chapelle de Notre-Dame du pillage et du vandalisme. Après la Terreur, Saint-Michel passe en plusieurs mains. Des chevaliers d'industrie, se disant émigrés politiques d'Espagne et désabusés du monde, s'y installent en 1837, pour y "suivre, loin du tumulte des hommes, la règle de Saint-Bernard". Mais le manque de ressources, et surtout les injonctions de la police, les obligent à se séparer rapidement. Un pensionnat est ouvert ensuite par Mr Donnat en septembre 1839. Parmi la quarantaine d'élèves se trouve le jeune Frédéric Mistral, de Maillane. Encore une fois, l'indigence va être la cause de la fermeture de la maison d'éducation.
Les événements et les liturgies solennelles attirent de plus en plus de monde. En 1861, une maîtrise est créée qui rehausse l'éclat des offices liturgiques. En 1860, l'archevêque d'Aix consacre le nouvel autel de la petite église romane, dédiée à saint Michel archange. L'édifice roman, quoique déjà agrandi par les Prémontrés d'une travée, se révèle très vite trop petit pour accueillir les foules, et trop simple pour la majesté du culte. Le Père Edmond entreprend donc la construction de la vaste église dont il rêvait. En trois ans, l'immense abbatiale est construite selon le goût de l'époque. Le 6 octobre 1866, l'archevêque d'Aix, entouré de milliers de fidèles, pouvait déjà consacrer cette nouvelle église. Elle fut dédiée à l'Immaculée-Conception. C'était l'époque de la proclamation du dogme et des apparitions de Lourdes. Cet édifice enveloppe la chapelle romane de Notre-Dame du Bon-Remède. Le 6 juin, 1869, Pie IX élève le prieuré de Frigolet au rang d'abbaye. Le Père Edmond en sera le premier abbé.
L'extraordinaire rayonnement de la Communauté de Saint-Michel de Frigolet donna naissance à plusieurs missions et fondations, bien au-delà des frontières françaises. En 1868 Mgr Lavigerie, le futur cardinal, avait fait venir à Alger une petite communauté de Frigolet. Elle démarrera l'histoire de Notre-Dame d'Afrique. Après bien des événements, Mgr Lavigerie les remplacera par la nouvelle congrégation missionnaire qu'il venait de fonder. Les fidèles de Notre-Dame d'Afrique nommeront les nouveaux missionnaires du nom donné par la population, tant provençale qu'algéroise, aux Prémontrés de Frigolet : "les Pères blancs".
L'évêque de Rodez, le cardinal Bourret, fait appel à Frigolet pour relever l'antique abbaye de Conques dans l'Aveyron. Six Prémontrés y sont installés. Ils restaurent et agrandissent les bâtiments de l'ancien monastère. L'évêque leur confie la paroisse et la garde du trésor historique de Sainte Foy "à perpétuité". Pendant les travaux de restauration du choeur de l'abbatiale romane, les Pères font la découverte des reliques de la sainte martyre. Elles avaient été emmurées au cours des guerres de Religion.
Le Père Edmond Boulbon aida Mère Marie de la Croix à installer une communauté de soeurs prémontrées à Bonlieu (Drôme ). Plusieurs autres essais ou demandes de fondations, parmi lesquels celle du roi d'Espagne qui voulait confier aux Pères l'Escorial, témoignent du prestige de Frigolet. Hélas ! Déjà l'année 1880 verra le début de quelques coups durs dont l'abbaye se relèvera difficilement.
En 1880 le gouvernement français décrète la dissolution de la communauté et lui ordonne de quitter le monastère. Le refus des Prémontrés, soutenus par les fidèles du secteur, provoquera le fameux "siège de Frigolet".
En 1882 le Père Edmond Boulbon démissionne. Il rendra l'âme à Dieu le 7 mars 1883 dans une abbaye vidée par les événements politiques. " Hier, écrit P. Xavier de Fourvières dans son journal, nous avons enterré le pauvre P. Edmond ; je suis revenu de Frigolet le coeur navré. Il n'y avait presque personne à l'enterrement..."
Après avoir été chassés de leur abbaye les religieux de Frigolet se sont dispersés pour quelques années. Un groupe se vit même offrir une maison à Storrington (West Sussex - Angleterre) par le Duc de Norfolk. Le 29 juillet 1882 ils obtiennent déjà l'autorisation de recevoir des novices. Une nouvelle fondation est née. Storrington est aujourd'hui un prieuré autonome de l'Ordre de Prémontré. Une pierre dans la façade du bâtiment rappelle que le successeur du Père Edmond, l'Abbé Paulin Boniface, posaposa "cette première pierre" du monastère. "Mes enfants, il n'y a plus rien pour vous faire manger : il faut retourner chez vous. Et soudain, comme un troupeau de cabris en sevrage qu'on élargit du bercail, nous allâmes, en courant, avant de nous séparer, arracher des touffes de thym sur la colline pour emporter un souvenir de notre beau quartier de Thym-Frigolet, en provençal Ferigoulet, signifie "lieu où le thym abonde". Puis, avec nos petits paquets, quatre à quatre, six à six, qui en amont, qui en aval, nous nous éparpillâmes dans les vallons et les sentiers, mais non sans retourner la tête, ni sans regret à la descente." Frédéric Mistral, Mémoires et Récits (Ed. Plon-Nourrit 1906, page 203).
Des industriels s'installèrent ensuite dans les bâtiments. On y vit une production de dragées, une fromagerie ou un atelier d'équarrissage. L'église Saint-Michel devint un abri pour les troupeaux.
La Primitive Observance de Prémontré & Père Edmond Boulbon (1817-1883) : Jean-Baptiste Boulbon naquit à Bordeaux le 14 janvier 1817. Il entra comme novice, sous le nom de frère Edmond, à l'Abbaye Cistercienne (Trappe) de Notre-Dame du Gard, près d'Amiens qui, en 1845, fut transféré, à Sept Fons (Allier). Son abbé et celui de la Trappe de Bricquebec l'envoyèrent prêcher en France et en Belgique pour récolter des fonds afin de construire leur abbaye. Il fut envoyé aussi sur l'île de la Réunion afin d'y prospecter en vue d'une fondation éventuelle. Durant ses voyages, il avait été choqué par le peu de dignité avec laquelle on célébrait souvent les offices. Il rêvait d'un culte avec un faste digne de la majesté de Dieu, qui élèverait en même temps le coeur des fidèles. Les supérieurs du Père Boulbon comprirent vite que cette vision ne relevait pas du charisme des moines cisterciens. Cependant, l'abbé de Bricquebec prit au sérieux le désir du Père Edmond et lui suggéra de restaurer l'Ordre de Prémontré, qui avait été anéanti en France lors de la Révolution. En effet, cet Ordre Canonial (c'est-à-dire de Chanoines Réguliers) unit la vie contemplative à une vie liturgique publique et à un engagement pastoral dans l'Église. Lors d'une audience à Rome le 4 décembre 1856, le pape Pie IX autorisa sur-le-champ Père Edmond à entreprendre cette oeuvre. Il reçut en même temps l'autorisation d'ouvrir un noviciat, de donner l'habit et d'admettre à la profession religieuse. Après un essai infructueux dans ce qui restait des bâtiments de l'ancienne abbaye de Prémontré (Aisne), Père Boulbon prend conseil auprès du saint curé d'Ars. L'abbé Jean-Marie Vianney lui répond d'établir sa fondation en Provence. L'ancien prieuré de Saint-Michel de Frigolet fut alors acheté pour 18 000 francs. L'installation officielle de la nouvelle fondation a lieu le 27 avril 1858. Le 11 juillet suivant, le Père Edmond fait profession religieuse entre les mains de l'archevêque d'Aix et d'Arles, Mgr Chalandon. Entre-temps, la communauté qui entoure son fondateur s'accroît sans cesse.
Le siège de Frigolet : Dès la Toussaint 1880, les Provençaux étaient montés par milliers au monastère pour tenter d'éviter l'expulsion. Beaucoup d'entre eux s'enfermèrent à l'intérieur de l'abbaye, parmi lesquels Frédéric Mistral. A cette nouvelle, la Préfecture de Marseille et le Gouvernement mirent en mouvement une véritable armée contre Frigolet : gendarmerie, infanterie, cavalerie, flanquées de généraux, de préfet, de sous-préfet, de commissaire de police... En tout, près de deux mille hommes pour chasser de leur couvent une quarantaine de religieux. L'expulsion est officiellement annoncée le 5 novembre, tandis que les troupes se déploient depuis deux jours sur la Montagnette. Ce 5, un commissaire embarrassé notifie, à travers une porte, au Père Hermann, qui représente le Père Abbé, l'arrêté d'expulsion dont il est porteur. Le Père refuse d'obtempérer. La Montagnette est alors investie par les escadrons de cavalerie et les bataillons d'infanterie, qui se déploient sur les collines en position d'attaque, sous les immenses éclats de rire de milliers de Provençaux qui chantent avec force leur fameux "Prouvençau e Catouli". A six heures du soir, il est fait défense de traverser les lignes, d'apporter de la nourriture aux assiégés, de sortir de l'abbaye : le blocus est total. Le 6 novembre, un capitaine du 141e régiment d'infanterie, accompagné d'un gendarme, monte demander à nouveau l'ouverture des portes de l'abbaye, on lui renouvelle le refus. La troupe cerne alors la boulangerie (aujourd'hui la Treille) et l'occupe aussitôt. Dans l'après-midi du dimanche 7 novembre, un ballon vert est lancé par les assiégés et s'élève lentement dans le ciel, avant d'être abattu par les militaires. Mais chacun sur la Montagnette avait eu le temps de voir le signe de vie que leur adressaient les assiégés. Sur décision du préfet, des crocheteurs montent à Frigolet, à la naissance du jour du 8 novembre, accompagnés du commissaire de police et de douze gendarmes. Ils poussaient une charrette remplie d'instruments d'escalade, de cordages, de chaînes, de haches, de massues, de poutres et de poutrelles en forme de bélier, comme si on devait prendre d'assaut une véritable forteresse ! Le commissaire fait de nouvelles sommations devant la grille de fer pour y attirer les assiégés, tandis qu'il envoie ses crocheteurs forcer une porte opposée, celle dite du "cloître". Une véritable ruse de guerre... Entendant les coups de hache défoncer les portes, les Prémontrés se réunissent alors dans la salle du Chapitre où, après avoir violé l'entrée de l'abbaye, se présente le commissaire de police, ceint de son écharpe, chapeau sur la tête, brandissant son décret d'expulsion. Le Père Abbé, dans cet instant poignant, lit une protestation solennelle. Devant les forces de police, ébahies et décontenancées, les Pères chantent alors l'office que personne n'ose troubler, jusqu'à ce que le Père Abbé leur donne sa dernière bénédiction. Les scellés sont apposés sur l'église, tandis qu'éclate un violent orage et que tombe une pluie torrentielle. Agents et gendarmes font évacuer l'abbaye de tous ceux qui s'y trouvaient depuis plusieurs jours pour soutenir les Pères dans ce moment difficile. Et, à 8 h 30, toujours sous le déluge qui tombe du ciel, les Prémontrés sont poussés dans les voitures amenées spécialement par la préfecture, puis conduits vers Tarascon, escortés de onze brigades de gendarmerie et d'un escadron de dragons, mais surtout acclamés par les foules massées tout le long du parcours et jetant des fleurs. Pendant de long mois, l'abbaye de Frigolet fut gardée militairement. (Extraits de documents de l'époque).
Au XXe siècle : L'UNION AU GRAND ORDRE DE PREMONTRE : Le Pape Pie IX avait été très ouvert face aux expériences religieuses. C'est lui qui avait autorisé et encouragé le P. Boulbon dans son oeuvre. Son successeur, le Pape Léon XIII préfère la clarté dans le foisonnement des familles religieuses surgies depuis la Révolution française. Il favorisera, voire exigera la réunification des différentes branches des ordres religieux anciens. Or le Père Boulbon avait créé sa fondation autonome vis-à-vis de l'Ordre de Prémontré dit de "la Commune Observance". Les Prémontrés de Frigolet vivaient selon les statuts du Moyen Age. Ils s'appelaient la "Congrégation de la Primitive observance de Prémontré" et étaient attachés à leur statut, mais Rome insista. Après consultation de la Communauté de Frigolet et du chapitre général du grand Ordre, Léon XIII signa le décret de l'union le 17 septembre 1898. Pour la Communauté relativement jeune, ce fut un choc auquel vint s'ajouter le décès prématuré du Père Abbé Denis Bonnefoy. Les religieux de Frigolet firent appel au prieur de l'abbaye prémontrée de Mondaye (Calvados), Godefroid Madelaine, pour devenir leur Père Abbé.
Le nouveau pasteur envoya en 1901 quelques religieux comme missionnaires à Madagascar. Cette mission continuera jusqu'en 1934. Par ce geste religieux, mais aussi humanitaire, le Père Abbé a essayé de sauver sa communauté d'un ouragan qui s'annonçait à l'horizon. En vain. La loi du 1er juillet 1903 sur les congrégations religieuses entraîna en effet la dissolution immédiate de 54 maisons et congrégations religieuses, l'expulsion des religieux de leurs monastères et l'expropriation des biens mobiliers et immobiliers. Ceux qui voulaient continuer la vie religieuse furent exilés.
En France les bâtiments de Frigolet ont servi, pendant la Grande Guerre, de camp pour des prisonniers allemands. Fin 1910, les premiers Prémontrés, prudemment vêtus d'une soutane noire, osent revenir, guidés par le nouveau Père Abbé Adrien Borelly. Le dénuement était total, car les soldats avaient laissé les lieux dans un état lamentable. Même à cette époque, la police de Tarascon les obligea à quitter à nouveau l'abbaye pour quelque temps.
Depuis le retour de l'exil l'abbaye Saint-Michel de Frigolet continue sa vie et sa mission religieuse.
Relevons durant cette période la figure du Père Norbert Calmels. Devenu Père Abbé de Frigolet en 1946 il fut élu Abbé Général de l'Ordre (1961-1981). Entre-temps Paul VI l'avait nommé évêque en 1978 et chargé d'une mission diplomatique auprès du roi du Maroc. Mgr Norbert Calmels a rendu l'âme le 24 mars 1985 après une maladie foudroyante. Sa personnalité aimable, ses fonctions religieuses et le fait d'être un homme de lettres l'avaient entouré d'innombrables amis à tous les niveaux de la société.
Entre-temps, le Concile Vatican II et les Chapitres généraux de l'Ordre invitaient à un retour aux sources essentielles de la vie religieuse.